assez d’air ni d’espace. Un jour que madame de Sévigné faisait
abattre de grands arbres dans son parc des Rochers, parce
que leur ombrage incommodait ses jeunes plants, « ses jeunes
enfants, » comme elle disait, son fils regardait cette conduite :
« Je ne lui en laisse pas faire l’application, » écrivait-elle à sa
fille. Charles de Sévigné avait le cœur trop bon et trop noble
pour la vouloir faire. Il ne connut pas la jalousie, et ne tenta
jamais rien pour jeter à bas le grand arbre. Il sentait fort bien
cependant ce que sentait tout le monde, que, sous son ombre,
il y avait pour lui non pas ce froid qui tue, mais un peu moins
de soleil.
Depuis ce jour où l’abbé Arnauld nous l’a montré, charmant enfant, près de sa jeune mère et de sa petite sœur, nous le perdons longtemps de vue. Que faisait ce blond adolescent pendant ces années où mademoiselle de Sévigné brillait dans les ballets du roi ? où et comment fut élevée sa jeunesse ? Nous l’ignorons : la muse de la Fontaine, de Benserade et de Saint-Pavin se soucie peu d’un jeune garçon, et madame de Sévigné dans ses lettres ne revient pas avec passion sur les souvenirs de son enfance, comme elle fait pour sa sœur. On ne peut du moins douter que son éducation n’ait été entourée de beaucoup de soins, et qu’il n’ait reçu une première instruction très-solide. Il suffirait, pour en être sûr, de lire la discussion critique qui s’engagea entre lui et le savant Dacier, dans les dernières années du dix-septième siècle, sur un passage de l’épître aux Pisons[1]. Sévigné y dit quelque part, « qu’il a passé les quinze premières années de sa jeunesse en qualité de courtisan ignorant, et que depuis dix autres années il est devenu provincial. » Ce qu’il n’a pu apprendre ni au fond de sa Bretagne ni dans sa vie de courtisan, il l’avait donc étudié avant ce temps, c’est-à-dire à l’âge où il faut acquérir les éléments de ces connaissances sous peine de ne les acquérir jamais. Tout ce que nous savons d’ailleurs de lui par ses lettres et par celles de sa mère, atteste un esprit de bonne heure cultivé.
Ce fut lui qui fit le premier connaître à sa mère le chagrin
- ↑ Les factums et contredits de Dacier et de Charles de Sévigné furent imprimés à Paris, chez Girin, 1698, sous le titre de Dissertation critique sur l’Art poétique d’Horace.