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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


Fourmi, où se trouvaient les mêmes imputations injurieuses[1]. Cependant, comme elles ne se répandirent pas seulement sans des chansons ou dans des épigrammes plus ou moins obscures, mais qu’elles trouvèrent de l’écho jusque dans le monde où vivait madame de Sévigné, elles ne pouvaient pas être entièrement passées sous silence. Elles expliquent plusieurs passages de ses lettres où, avec l’acharnement le plus implacable du ressentiment maternel, « offrant, comme elle l’a dit, ses brutalités à la vengeance de sa fille, » elle poursuit madame de Marans, cette mauvaise fée, cette Mellusine, qui avait osé faire des plaisanteries sur la première couche de madame de Grignan[2]. Madame de Sévigné était d’autant plus justement révoltée, qu’en aucun temps la conduite de sa fille ne paraît avoir mérité de reproches, et que, dans cette première année de son mariage, où elle alla quelquefois à la cour avec son mari, se souvenant sans doute des propos qu’avaient fait tenir les distinctions dont elle avait été l’objet, elle avait poussé le soin de son honneur et le désir d’épargner à son mari toute inquiétude jalouse jusqu’à s’interdire les parures qui étaient de son âge. « Vous souvient-il, lui écrivait madame de Sévigné, peu de temps après son premier départ pour la Provence, vous souvient-il combien vous nous avez fatigués avec le méchant manteau noir ? Cette négligence étoit d’une honnête femme. M. de Grignan vous en peut remercier ; mais elle étoit bien ennuyeuse our les spectateurs[3]. »

Madame de Sévigné eut près d’une année de répit après le départ du comte de Grignan. Il ne se peut rien voir de plus habile que les lettres qu’elle lui écrivit, pendant ce trop court temps de grâce ; et cette fois l’habileté n’est pas seulement spirituelle, elle est touchante ; on admire les inspirations du cœur autant que la finesse de l’esprit. Beaucoup flatter M. de Grignan, pour qu’il laisse sa fille auprès d’elle le plus longtemps possible, n’est pas tout ce que cherche madame de Sévigné ; Elle veut, en mère sage, fonder solidement le bonheur

  1. Les curieux pourront la voir au tome III, p. 348, de la Correspondance de Bussy (édition Lalanne), et à la note de la page 94 du Nouveau siècle de Louis XIV ou Choix de chansons, Paris, 1857.
  2. Lettre à madame de Grignan, 9 février 1671.
  3. Lettre du 21 juin 1671.