vigné, cette extase devant ses perfections, ces louanges vraiment amoureuses données à sa beauté autant qu’à son esprit,
comment croire que le dangereux abus n’en ait pas commencé
de bonne heure ? L’excessive tendresse des parents (ce sont trop
souvent les meilleurs qui ont besoin qu’on le leur rappelle)
cultive l’égoïsme des enfants ; et la punition de ceux qui aiment
trop est de n’être pas assez aimés. Le vieil Arnauld d’Andilly
était bien sage, quand il grondait si fort madame de Sévigné,
quand il lui disait « qu’elle étoit une jolie païenne, qu’elle
faisoit de sa fille une idole dans son cœur, et que cette sorte
d’idolâtrie, quoiqu’elle la crût moins criminelle qu’une autre,
étoit aussi dangereuse[1]. » Nous n’avons pas de mémoires sur
l’enfance de mademoiselle de Sévigné, mais quelques traits
des lettres de sa mère peuvent en tenir lieu. Nous la voyons
« se contemplant dans son essence, comme un coq en pâte, »
se condamnant, pour ne point gâter sa beauté, à un jeûne
d’anachorète, et « ne vivant que de son amour-propre[2]. »
C’était exactement la même folie que celle de mademoiselle de
Soubise, dont Saint-Simon nous raconte plaisamment le régime
de veau, de poules bouillies et de lait, et qui, dit-il, avait
passé sa vie dans cette diète austère, afin de conserver l’éclat
et la fraîcheur de son teint. Quand le philosophe la Mousse,
choqué du culte extravagant que mademoiselle de Sévigné
rendait à ses propres attraits, lui disait : « Mademoiselle, tout
cela pourrira, » elle répondait avec une impénitence qui amusait beaucoup sa mère : « Oui, monsieur, mais cela n’est pas
pourri[3]. »
Trop indulgente pour elle-même, mademoiselle de Sévigné ne paraît pas l’avoir été assez pour les autres. Il y avait, dans le voisinage des Rochers, une jeune fille que madame de Sévigné a souvent bien durement traitée par complaisance pour les antipathies de madame de Grignan. C’était mademoiselle du Plessis d’Argentré. Nous n’aimons pas l’histoire du soufflet que mademoiselle de Sévigné lui donna un jour, parce qu’elle avait