parce que cet abbé tenait de très-près aux du Gué. Il était,
disait-on, fils naturel de François du Gué, père de la jolie
madame de Coulanges. Il ne faudrait pas voir en lui un professeur de mademoiselle de Sévigné, dans la rigoureuse acception du mot, mais simplement, ce nous semble, un ami que
madame de Sévigné voyait avec plaisir cultiver par ses entretiens et par ses lectures l’heureuse et précoce intelligence de sa
fille. Madame de Sévigné, qui savait beaucoup sans affecter
de rien savoir, et qui n’était pas une Philaminte, ne pouvait
vouloir faire de sa fille une Armande ; mais elle ne prévit peut-être pas assez le succès complet de la Mousse. Nous ne voudrions pas soutenir la thèse du bonhomme Chrysale. Il ne faut
certainement déshériter l’esprit des femmes d’aucune noble
connaissance ; et quand madame de Sévigné lisait si bien tant de
livres sérieux et restait la plus charmante des femmes, madame de Grignan pouvait lire Descartes, sans être pédante et
sans offenser les Grâces. Mais ce don vraiment féminin de
prendre à la fleur de la science ses plus doux parfums, et
même ses sucs les plus généreux, sans aller jusqu’aux sèches
et rudes épines, madame de Grignan l’eut-elle comme sa mère ?
On en peut douter. Le soin que madame de Sévigné prit toujours de se donner elle-même comme bien plus profane et ignorante qu’elle ne l’était en effet, en matière de cartésianisme,
ce nom de philosophie qu’elle prononce si souvent, quand elle
fait quelque allusion aux froideurs de sa fille, font soupçonner
qu’elle l’aurait volontiers dispensée de tant de science, et que,
si dans la brillante instruction de mademoiselle de Sévigné le
but fut dépassé, ce fut contre l’intention de sa mère. Que de
bonnes leçons d’ailleurs elle dut recevoir de cette mère ! Quel
maître elle eut là dans l’art de causer et dans celui d’écrire !
De ce côté Bussy n’a rien exagéré, quand il a dit : « la bonne
nourriture qu’elle lui donna et son exemple sont des trésors
que les rois mêmes ne peuvent toujours donner à leurs enfants[1]. »
Parlons avec franchise : il est à craindre que la nourriture morale n’ait pas été aussi excellente. Cette imprudente adoration de sa fille, continuelle dans les lettres de madame de Sé-
- ↑ Histoire généalogique.