sante ; d’avoir senti avec une finesse toute particulière le
charme de son talent, et exprimé de bonne heure un des meilleurs jugements qu’on en ait portés ; enfin d’avoir été le premier qui ait songé à préparer l’immortalité de ses lettres et à
en faire jouir la postérité. On sait qu’il en a insèré un certain
nombre dans ses Mémoires. Il avait en outre, dans plusieurs
cahiers in-folio, transcrit de sa main sa correspondance avec sa
cousine[1]. Il fit mettre, avec ses Mémoires, ce recueil sous les
yeux de Louis XIV[2], disant qu’il était digne d’être dans le cabinet d’un roi honnête-homme[3]. Madame de Sévigné lui témoigna qu’elle en était effrayée, et qu’elle espérait du moins « qu’il
aurait raccommodé ses lettres. » — « Je n’y ai point touché, répondit-il : Lebrun ne toucheroit pas à un ouvrage du Titien où
ce grand homme auroit eu quelque négligence. Cela est bon aux
ouvrages des médiocres génies d’être revus et corrigés. J’ai
supprimé seulement certaines choses qui, quoique belles, ne
seroient peut-être pas du goût du maître[4]. » Cette dernière
précaution était si nécessaire, qu’elle ne peut être reprochée à
Bussy ; mais il trace du reste ici aux éditeurs de madame de
Sévigné une règle qu’ils auraient toujours dû suivre, que malheureusement il ne paraît pas avoir assez suivie lui-même. Quoi
qu’il en soit, les Mémoires de Bussy, imprimés en 1696, et sa
correspondance publiée l’année suivante par sa fille, ont été
pour le public les premières révélations de ces chefs-d’œuvre
dont quelques-uns, il est vrai, avidement recherchés, avaient
déjà passé de mains en mains dans le monde de madame de
Sévigné, mais ne semblaient pas destinés à en sortir. Si Bussy
n’avait commencé à les répandre au dehors, la famille de
madame de Sévigné ne se serait peut-être pas dessaisie de ce
trésor.
Lorsque Bussy fit savoir à madame de Sévigné qu’il avait mis le roi en tiers dans leur commerce, elle craignit que « son style, tout plein d’amitié, ne se pût mal interpréter, » et qu’on n’y vît un autre sentiment. Il la rassura avec raison. La posté-