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NOTES D’UNE FRONDEUSE

sable de la génération qui vient — il ne suffit pas de dire à son fils : « Sois honnête », il faut pouvoir lui dire : « Sois ce que je suis. »

C’est l’histoire du coup de chapeau dans l’escalier et du pas cédé sur le trottoir, ces fragments de la civilité puérile et honnête que l’on a tant de peine à inculquer aux enfants.

On se tue à leur répéter : « Découvre-toi devant le vieillard que tu croises sur le palier, et, dans la rue, livre-lui passage. » Phrase correcte et bon conseil.

Mais, si l’ancêtre est saoul, si le patriarche est obscène, le petit renfonce son képi énergiquement et file avec un geste blagueur. C’est fini — vous aurez beau dire, il tirera la langue, le reste de son existence, à tous les aïeux qu’il rencontrera !

Or, nos Pères de la Laïque ont tété tant de pots-de-vin ; pris le menton à tant de Constitutions différentes ; ils ont déshonoré leur vieillesse avec tant de cynique ou d’hypocrite abandon, que nous ne ressentons plus, à leur aspect, que l’hilarité de Cham devant le sommeil court-vêtu de Noé.

Vous êtes, vous, de la race de Japhet, respectueux quand même, attristé par la vilenie humaine, et prêt à jeter votre manteau sur le vieux monde, objet de nos moqueries.

Prenez garde ! Si rieurs que nous soyons, nous vous crions méfiance ; car vous êtes victime d’une épouvantable mystification… et ce n’est pas nous qui l’avons imaginée.

Avec votre pudeur native, vous avez mal regardé ! Ce qui dort là — ou mieux ce qui fait semblant de dormir, guignant votre consentement, entre ses paupières sans