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NOTES D’UNE FRONDEUSE

tir. Son initiative avait fourni le prétexte ; il avait permis de pousser sur lui la pierre du sépulcre — ceux qu’il eût pu aider dans l’œuvre commune, au mieux de l’intérêt social, ajoutaient chacun leur caillou sur la dalle, comme à la barricade chacun dépose son pavé.

Et c’étaient des discussions véhémentes, à ce propos, entre eux et Vallès ; où celui-ci, poussé à bout par des calomnies dont il pressentait bien l’intime cause, oubliait l’ « interdit » politique dont lui, tout le premier, frappait Denis, pour proclamer bien haut l’intégrité, le courage, la sincérité (fût-ce dans l’erreur !) de l’ami d’autrefois.

Vallès ne se trompait point. Car c’est justement par sincérité que Denis ne lui facilitait pas la tâche ; faisait la moue ; dédaigneux de se justifier. Toute explication eût été menteuse, si amende honorable ; n’eût fait qu’aggraver son cas, si confession véridique… Cet homme-là avait le césarisme dans le sang, comme Bonaparte y eut la gale !

Diogène, disait-on parfois, raillant sa rusticité. Oui ; par la lanterne ! Et aussi un peu Warwick.

Vallès mourut. L’avant-veille, feuilletant le Cri de 1871, il m’avait parlé pour la dernière fois de Denis ; mais avec une telle ampleur de vues, une telle envolée de tolérance que je sentis bien, de son amitié ou de sa rancune, laquelle il me léguait.

C’est par moi, lien adouci entre un souvenir et une mémoire, que le vivant s’expliqua avec le mort. Je n’étais la captive de personne, n’ayant rien été, ne devant rien être, bien résolue à vivre en marge de tous les partis — même du mien !