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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Huit heures et demie du matin, place des Vosges. Avec des yeux bouffis de sommeil, j’envisage la haute, haute maison de brique, fenestrée suivant l’époque : argus aux mille petits carreaux que le soleil poudre d’une gaieté — et aussi, me semble-t-il, d’une malice.

Elles me dévisagent, toutes ces prunelles d’or, d’un air de joyeux défi ; paraissent s’intéresser prodigieusement à ma démarche ; et si j’oserai la faire, et si j’y réussirai.

Si j’oserai !… Je me précipite sous la voûte. Dans la cour du fond, spacieuse, ensoleillée, la concierge balaie : une concierge qui a mine de brave femme, pas hargneuse. Mais je ne me laisse pas prendre aux apparences, moi ; et, du masque, ne conclus pas au visage ! J’ai lu le Roman d’une Conspiration ; et je cherche quel subterfuge me mettra bien dans la place, me donnera l’air « de ne pas avoir l’air ».

Une cage est là, une immense cage où des canaris, des pinsons, des linots, volètent, gazouillent. Alors, extasiée :

— Ah ! les petits, les beaux petits oiseaux !… Qu’ils sont gentils, qu’ils sont mignons, les petits oiseaux à leur mémère !… Et comme on les gâte ! Du mouron, du colifichet, du susucre !

Je les aguiche du doigt. Très familiers ils me rendent ma politesse en chantant à tue-tête, pleins d’émulation. Je guigne la « mémère » du coin de l’œil. Elle a quitté son balai et se rapproche. Ô Fouché !

Une buvoire inclinait ; je l’ai redressée, mouillant un peu mes gants… il faut savoir faire des sacrifices !

J’en suis récompensée. Une voix attendrie module à mon oreille :