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NOTES D’UNE FRONDEUSE

de douleur ; loin des siens, de son clocher, du berceau des petits-enfants parmi lesquels il en est — grâce à vous, politiciens ! — qu’il ne connaît même pas.

Naas, donc, est né en France, en 1817. À sa majorité, il tira au sort, fut incorporé, fit ses sept ans, consciencieusement.

Vers 1845, libéré, il entra, comme garde, dans l’Administration des forêts.

Trois ans plus tard, son premier enfant naissait. Celui-là : Jacques (aujourd’hui âgé de quarante-quatre ans, et employé chez un marchand de vins de Longwy) prit part, comme sous-officier d’artillerie, au siège de Metz, et servit jusqu’en 1872.

À cet aîné-là s’adjoignit bientôt un cadet : Pierre, né en 1851 ; qui exerce présentement, à Jauf, l’état de forgeron. Celui-ci fit, comme caporal de zouaves, la campagne de 1870.

La famille s’augmentait, les charges devenaient plus lourdes ; il fallait chercher quelque besogne mieux rétribuée, quelque emploi plus lucratif. Vous souvient-il, alors, en quels termes la France — pimpante, piaffante, ayant presque reconquis son surnom d’invincible — était, avec ces misérables petits États d’Allemagne si épars, si divisés, si appauvris ?

On riait, à Paris, de ce tas de principautés, duchés, archiduchés… décrochez-moi ça de l’équilibre européen ! Et une pitié protectrice, acidulée d’un peu d’ironie, tombait sur ce bazar à couronnes !

Qu’aurait-on eu à craindre ? Aussi, toute la haute société se ruait-elle à Bade, à Ems, autour du tapis vert. Les journaux n’étaient pleins que des prouesses des beaux messieurs et des belles madames revenant d’Allemagne ou s’y rendant. Et sur la frontière du Rhin même, d’une rive à l’autre, on était tous parents