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NOTES D’UNE FRONDEUSE

mesures qui soulèveraient de dégoût et d’indignation le pays entier. On n’aime pas les hyènes, déterreuses de cadavres, dans la patrie des chevaleresques miséricordes…

Paix donc aux trépassés ! Paix surtout à ces ombres drapées de ténèbres qui veillent sur les sépultures ; qui étendent le frêle rempart de leur voile de deuil entre la méchanceté humaine et les pauvres corps sans défense, immobiles à jamais dans le sol glacé !

En cette île qui fut le dernier esquif du boulangisme — le radeau de la Méduse, même, pour quelques-uns des rongeurs ! — un contraste poignant s’établit, entre ces menaces contre les survivantes et les espoirs chatoyants dont des bribes semblent demeurer accrochées, comme brins de soie, aux haies de tous les chemins !

Les rues, les fermes, les villas, les cabanes, sont toutes pleines de l’ombre mélancolique de ce couple, qui passait la main dans la main, les yeux dans les yeux, et dont le moindre pâtre, dont le moindre pêcheur, sait maintenant le lugubre sort.

Devant l’hôtel, les touristes s’arrêtent, regardent longuement les fenêtres, se font expliquer par le guide. Les prunelles bleues des Yankees, les prunelles noires des Asiates s’estompent de rêve. Leur curiosité est avide, brutale parfois, mais émue aussi. Plusieurs, en écoutant, se penchent vers la femme, laide ou belle, élégante ou fagotée, qui est leur compagne de route… c’est qu’une tendresse émane de la légende ; et les cœurs, si las de l’insipidité du voyage, y font halte, s’y rafraîchissent, comme, à mi-côte, des coursiers fatigués !

En effet, il est hanté de réminiscences, ce lieu d’asile que M. Massard, l’un des plus infimes, mais l’un des