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« Lorsque la lune est rouge, derrière la brume de sang, la buée s’élève de la mer tranquille, les morts reviennent alors à la surface des eaux, ils se lamentent et pleurent, ils se tordent les bras et sanglotent au souvenir du bonheur tombé à jamais dans l’éternité[1]. »

Le réveil[2], il n’y en a pas, Tanabé le sait bien, cependant il lui semble qu’il va rouler dans l’anéantissement comme dans un noir abîme aussi sombre que son âme.

Ah ! s’il avait pu mourir alors que jeune et plein de foi, il avait le cœur si chaud et la main si prompte à caresser son sabre, quand il entendait un misérable pris de saké[3] menacer un vieillard ou une femme ! Ses armes sont là, près de lui, il les a enlevées de l’étui de soie[4] où elles dormaient ; il a voulu que suivant l’ancienne coutume, on tint derrière lui le grand sabre, droit, la poignée en l’air et le fourreau entouré pour que la main du page ne ternit pas la laque de l’arme préférée. Le petit-

  1. Les Taïra furent entièrement détruits à Dan-no-ura où un combat mi-terrestre mi-naval leur fut livré par Mina Moto no Yochitsuné. Une légende populaire prétend que les Taïra noyés se transformèrent les uns en crabes, les autres en fantômes dont la seule distraction consiste à poursuivre et à couler les embarcations que leur mauvaise chance pousse dans ces parages.
  2. Les Japonais d’un certain rang et les lettrés sont absolument sceptiques.
  3. Eau-de-vie de riz.
  4. Lorsque les armes étaient au repos, on avait soin de les envelopper dans une gaine de soie plus ou moins riche.