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jours des affections précédentes et même de celles qui
sont dans notre attente. Tout cela nous paroît le
présent : et jamais nous ne pouvons en séparer d’une manière
précise ni le passé ni l’avenir ; si nous le pouvions il n’y
auroit plus de présent, mais au contraire nous y joignons
tout ce qui est près de nous. Le présent qui n’a ni forme
ni durée, enveloppe à nos yeux les formes, les durées,
les apparences : il semble que rien ne le commence et
que rien ne le termine, mais c’est une étendue usurpée,
le point du centre lui appartient seul. Quoiqu’il soit
imperceptible, il est infini parce qu’il est reproduit
constamment. Sans cesse périssant et sans cesse renouvelé,
impossible à saisir et subsistant sans être jamais maintenu,

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il roule sur les êtres pour les presser et les étreindre, | il
s’avance sans vieillir, et s’écoulant toujours actuel, il reste
et passe éternellement.



TRENTE-CINQUIÈME RÊVERIE



Cest une supposition très-poétique que celle de
Platon, au cap Sunium, dissertant de la sagesse avec ses
disciples, au bruit des vagues, devant l’horizon immense,
sur une terre nue, au pied d’un temple, au milieu des

orages. Mais malgré la beauté de la position, si en s’attachant

à prouver, il ne prouvoit pas mieux que dans le
Phedon je ne pourrois le trouver divin. Les richesses du
style et la pompe des images suffisent au poëte ; mais ce
qu’on demande au sage c’est la vérité des choses. En
général il y a dans les écrits de Platon des endroits élevés,
il y en a de sublimes comme la fin du livre sixième et le