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maintenant, et elles sont ; elles pouvoient être alors, et
elles n’étoient point. Pourquoi cette différence ? C’est ce
que l’homme ne sauroit comprendre, et dès-lors il le demande.
C’est envain dira-t-on, et ces choses passent son
intelligence. À la bonne heure ; cette question peut être
inutile, mais elle n’est pas absurde.
Il semble même plus naturel de penser que la puissance
qui meut, qui ordonne, qui produit, ayant toujours été
semblable à elle-même, a toujours opéré d’une manière
analogue, qu’étant éternellement productive, elle fait
éternellement, et que ce qu’elle veut, elle l’a voulu et le voudra.
Car précisément parce qu’il n’y a point de changemens
en Dieu, antérieurement à ce que Dieu est il n’a
pas été autrement ; et comme il n’y a point de succession
dans Dieu, ce qu’il fait n’aura point de terme. Ainsi
quoique le temps ne soit jamais présent, et même
quoique le temps n’appartienne qu’à l’ordre de la création
effectuée, la question subsiste. On ne peut pas dire,
que faisoit Dieu dans le temps qui précéda la création ?
Mais cette difficulté n’est que dans les mots ; car on peut
demander, que faisoit Dieu lorsqu’il n’avoit pas encore
créé ?
De plus, si Dieu a créé dans l’acception vulgaire du
mot, si l’œuvre du monde a commencé, il est visible

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que le temps existe pour Dieu, et que | Dieu n’est pas
immuable. Avant que le monde fût, Dieu pouvoit le voir :
soit. Mais il ne le voyoit pas effectué : et si le monde
change, Dieu le voit successivement effectué avec des
formes successives. Dieu change donc lui-même ; car la
vue de ce qui est, et l’opération continue mais relative aux
circonstances, que vous admettez en lui sur les créatures,
forment des modifications quelconques de l’existence
divine. Voilà donc Dieu soumis au temps ; et Dieu tel