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le second. C’est donc le présent qui n’a point de durée,
et qui même n’existe jamais. Le présent exact seroit la
ligne mathématique, la ligne sans épaisseur qui sépare |

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le passé de l’avenir. Comme une route que nous suivons,
n’a que deux parties, celle qui est faite et celle qui est
encore à faire : ainsi le temps est toujours derrière nous,
ou devant nous ; mais jamais il n’est à nous. Les enfans
admettent le présent, parce qu’ils ne sauroient discerner
le mouvement du temps. Mais il n’y a que le passé et
l’avenir. Si les grammairiens reconnoissent trois temps,
c’est qu’il faut bien que la langue se prête aux illusions
populaires.
Dans le livre onzième des Confessions de St. Augustin
il y a beaucoup de profondeur, mais il y a aussi des
subtilités. Je n’en suivrai point les détails : et je ne ferai
qu’une ou deux observations relatives à des objections
de ce livre.
Par une prévoyance plus éclairée que celle de l’homme
livré à ses seules lumières, les prophêtes auroient pu voir
les subséquences des choses, comme nous mêmes, ainsi
que le dit S. Augustin, nous jugeons en voyant l’aurore,
que le soleil se levera ?
La question : Pourquoi n’y avoit-il rien de réalisé avant
que le monde fût, que faisoit Dieu avant de créer le
monde, cette question ne me semble pas aussi impertinente
qu’elle le paroît à St. Augustin. Il n’y avoit point
de temps, puisqu’il n’y avoit point de succession de formes ;
soit. Mais puisque Dieu étoit avant que le monde fût, il
auroit été possible que les choses existassent. Car enfin
prenez en sens inverse le développement successif de

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l’œuvre créée, vous arrivez à un terme. | Pourquoi ce
terme ; et à la suite de ce terme, toujours en rétrogradant,
pourquoi n’y a-t-il rien ? Les choses peuvent être