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TRENTE-QUATRIÈME RÊVERIE

Le Temps est la mesure des distances dans la succession
des formes : le temps est le passage des incidens. Le
sentiment que nous avons des choses présentement
existantes est un point devant lequel glisse cette longue ligne :
notre prévoyance, et notre mémoire, forment de ce point

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un œil qui | se dirigeant sur cette trace à droite et à
gauche, discerne quelques parties de ce qui fuit déjà, et
quelques autres de ce qui n’est pas encore actuel.
Si nous voulons estimer la valeur des diverses proportions
en durée de ces incidens, nous prenons pour mesure
commune ceux qui nous paroissent marcher uniformément.
Notre première donnée pour juger de cette uniformité,
se trouve indiquée naturellement, nous la connoissons
par instinct et nous la vérifions par étude ; c’est la
constance de certaines parties de notre organisation. La
respiration libre, et le mouvement ordinaire du sang
ayant une égalité presque certaine, disposent à la justesse
nos sensations relatives à la durée, toutes les fois du
moins qu’elles ne sont troublées par aucune affection
extraordinaire. Cette sorte d’instinct nous a donc suffi pour
découvrir quels mouvemens plus sûrement uniformes nous
pouvions trouver hors de nous. Nous avons étudié le
cours des astres ; et alors nous nous sommes fait par des
rouages, une mesure plus commode encore.
Nous disons, de trois époques que nous venons de
remarquer, la première a été plus distante de la seconde
que la seconde de la troisième ; c’est-à-dire dans le
premier intervalle nous aurions respiré plus de fois que dans