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Que peut faire… …accuser notre mémoire (Ibid.,
48-56). Je ne vois rien que de terrestre dans une célébrité
plus grande : on l’accorde aux belles actions, mais on
l’offre aux grands crimes.
La première fin de l’homme n’est pas la gloire. Il est
humiliant de la chercher sans y atteindre ; il est triste
peut-être de la mériter sans l’obtenir : mais ce qui est
plus triste encore, c’est de la trouver sans la mériter, car
quelle preuve plus sensible de la frivolité des espérances
humaines ?
C’est une noble passion que ce besoin de gloire mais
l’élévation n’empêche point l’erreur. Toute passion tend
à l’excès et les écarts dans le bien même, sont funestes,
puisqu’ils sont contraires à l’ordre. Le but de l’individu
peut être louable, mais considérez la nation, sans doute
elle en souffre. La nation prospère-t-elle ? c’est au dépens
du genre humain. Il se peut que quelquefois une passion
n’occasionne aucun mal, mais c’est qu’alors la passion n’a

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produit que ce qui pouvoit être fait | sans elle. La
volonté de la raison suffiroit pour opérer tout bien véritable.
Non-seulement le désir de la gloire est naturel et louable
dans la société organisée comme elle l’est ; mais on peut
ajouter que parmi nous celui qui n’éprouve pas ce besoin
manque de quelque chose pour être homme : peut-être il
est estimable à d’autres égards, mais on voudroit que
l’ébauche fut achevée.
Ainsi la passion de la gloire n’est pas toujours
mauvaise relativement, et nous devons aimer ceux qu’elle
conduit à faire des choses utiles ; mais elle est mauvaise
essentiellement, et nous l’expulserons avec soin d’une
société constituée pour le bonheur de tous ses membres.
Il nous faut des moyens moins féconds, mais intarissables.
Il nous faut des voies moins fastueuses, mais acces-