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jours besoin de combattre, est-ce pour s’affermir dans la
résistance, et pour s’avancer dans l’art de souffrir, que
l’on reçut votre appui, et que l’on acheta vos plans de
législation ?

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Le plaisir énerve les ames ! Je veux… | …que la
félicité (Ibid., 523-541) n’est point dans les folies de la joie,
mais dans la permanence du contentement. (Cf. thème,
Ibid., 541-542).
Direz-vous que ces voies simples n’étant plus les nôtres,
il nous faut des plaisirs vifs et impétueux pour animer
l’industrie convenable aux grandes sociétés ? Cela seroit
vrai aussi ; mais cela seroit aussi contre vous. Car si ce
qui paroît convenir expressément à notre ordre social, est
essentiellement mauvais pour ceux mêmes qui vivent
dans cet ordre de choses, quelle conséquence favorable
pourrez-vous en tirer ? Des plaisirs impétueux seroient
moins funestes pour l’homme simple : comme le sentiment

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chez lui ne s’étend guères au- | delà du présent, il jouiroit
de la force des émotions, sans souffrir de l’inaction dont
elles seroient suivies. Mais l’homme de nos cités n’a point
de présent ; il vit de souvenirs et d’attentes ; ses sentimens
actuels ne sont que le résultat de la comparaison qu’il fait
sans cesse de ce qui se présente avec ce qu’il connoît ou
ce qu’il conjecture ; soit dans la destinée des autres, soit
dans ce qu’il se promet de la sienne pour l’avenir ou ce
qu’il en a éprouvé autrefois. Si donc il jouit de ces brillantes
séductions, c’est avec tant d’inégalités, d’intervalles,
de craintes et de regrets, que nécessairement elles
produisent en lui plus encore de dégoûts et d’anxiétés, que
de jouissances et même de désirs. Les immenses
promesses de cette avidité qui nous captivoit, qu’ont-elles
produit ? L’inquiétude a troublé toutes nos heures ; les
facultés sont découragées ; et le cœur épuisé d’un travail