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sont les plus beaux climats ; et le conquérant est meilleur,
dans la nature, que l’homme paisible. Mais pourquoi tout
n’est-il pas dans un égal mouvement ? Parce que ces
mouvemens égaux se détruiroient, parce que la matière

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ne peut parvenir que graduellement à l’état de té|nuité
et de souplesse qui la rend susceptible de composer des
corps très-organisés. Ces corps sont les seules machines
qui recevant à la fois et communiquant un grand mouvement,
puissent devenir en quelque sorte principes de
mouvemens nouveaux.
Il ne peut exister qu’une cause finale générale, et
comme elle est nécessairement universelle, elle est
nécessairement inconnue à des êtres bornés. Ceux qui
cherchent des causes finales particulières, et qui les
donnent comme des raisons, non pas de la nature des
incidens, mais de l’existence des êtres, ne remarquent
pas qu’elles forment un cercle d’inutilités. Pourquoi le
lièvre a-t-il reçu la légèreté, la timidité et l’instinct de
ruses ? c’est pour échapper au chien. Mais pourquoi le
chien a-t-il des membres agiles, un aboiement sinistre
et une gueule forte ? pour troubler le lièvre, l’atteindre et
s’en nourrir.
Les causes finales visibles ne sont donc que des moyens
particuliers d’une fin générale. Cette fin générale pour la
partie du monde dont nous avons quelques notions, c’est
apparemment la plus grande somme de mouvement. Mais
dans quel but ? car ce n’est encore qu’un résultat subordonné,
et dont la raison paroît être au-delà. Au-delà,
l’homme n’a rien à conjecturer ; et les données lui sont
tellement inaccessibles, qu’il ne peut même arriver ce
semble à des suppositions imaginaires. Il faudroit des
notions universelles pour entendre la fin universelle :
c’est l’inconnu nécessaire.