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Au milieu de leurs calamités et de leurs efforts si souvent
renversés, les nations voyent des temps d’éclat et de
succès, interrompre leur détresse, comme les individus
atteignent au repos d’une heure plus facile, dans le labeur
de la vie. Qui de nous se dira : Cette heure est la
dernière  ? Qui voudra rejeter l’espérance d’en voir une
semblable ? Le dix-septième siècle a pu être égalé, il pouvoit
être surpassé ; cependant, honneur immortel à ces génies
qui n’ont point laissé de supériorité à ce qui les précéda,
dont rien n’effacera les travaux, et qui ne peuvent être
vaincus, sans que l’éloquence humaine recule les limites
qui lui paroissoient prescrites Les sciences viennent de
franchir un espace immense, dans ce temps même dont
on plaint la stérilité ; les lettres ont ressenti quelque
chose de l’impulsion donnée aux esprits si elles se sont
moins avancées que les sciences, c’est qu’elles étoient bien
plus près des bornes du possible.
C’est ce terme qu’il faut seul reconnoître. Les merveilles
sont enfantées par l’audace qui espère tout ce qu’elle

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imagine, et qui ne voit dans ce | qu’elle a construit que
les fondemens de l’édifice plus hardi qu’elle se promet
d’élever. Le génie dans sa course téméraire et magnanime,
regarde comme trop facile l’espace que d’autres
ont pu franchir, et s’impose la loi de partir du point auquel
ses prédécesseurs ont atteint.
Pressé par le temps, l’homme se hâte de prononcer
dès qu’il a réuni quelques aperçus ; il est forcé de précipiter
ses jugemens, et de renoncer en quelque chose à la
lente vérité. Ne mêlons pas du moins les préjugés de la
passion aux erreurs d’une connoissance imparfaite : aimons
les temps récens comme les temps plus anciens.
Si nous ne voulons respecter que ce qui est antique, le
dix-huitième siècle n’est-il pas vieux déjà ? Ces généra-