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il est donné d’éclairer les peuples et de survivre à
plusieurs siècles…
Rousseau, grand dialecticien, grand publiciste et
moraliste pénétrant, est le plus éloquent peut-être des
premiers écrivains, quoique son style, souvent assez
simple, ne soit pas toujours exempt de négligences. Non-
seulement il sait prouver, mais lors même qu’il ne prouve
point, il persuade encore, il attache, il entraîne, il
séduit. Ce n’est pas que chez lui l’expression soit
toujours exacte, ce n’est pas qu’elle soit aussi vraie qu’elle
est forte ; mais cette nuance d’exagération qu’une raison
sévère pourra lui reprocher, cette teinte prise dans
l’imaginaire, est tellement soutenue et pour ainsi dire
uniforme, qu’elle ressemble aux couleurs de la vérité. Ses
grands moyens pour convaincre sont dans les pensées

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accessoires qui, en indiquant de | vastes rapports,
donnent à l’idée principale une étendue imposante et des
appuis si nombreux, que l’imagination même ne tente pas
de les renverser.
Il y a une certaine abondance qui n’est pas celle des
choses superflues, mais celle des choses relatives et indirectes.
Jean-Jacques est plus long qu’Helvétius, il est plus
diffus peut-être ; mais quand il jase, il ne bavarde pas.
Quand il s’étend, quand il s’arrête dans sa marche et se
répète lui-même, c’est d’une manière nouvelle ou avec
un effort nouveau : il persuade davantage, ou il achève
d’intéresser ; il donne des idées ultérieures. Jean-Jacques
est toujours éloquent : lorsqu’il n’est point passionné,
profond ou sublime, il est simple et persuasif.
Quant à ces contradictions multipliées que quelques-
uns reprochent à Jean-Jacques, on sait assez que si la
plupart en reconnoissent l’apparence, la réalité n’en est
admise en général que par des esprits un peu pressés dans