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hardiesse qui semble les éclaircir, les mystères que sa pensée
veut pénétrer. Possédant tous les talens, celui de la
facilité la plus aimable, comme celui d’une force mâle, il
chante le coq ainsi que le coq se chanteroit lui-même dans
sa jactance presque héroïque ; il découvre les accens que
le tigre voudroit produire pour imprimer une terreur plus
grande ; c’est dans les desseins de la nature même, qu’il
voit le cheval beau comme elle l’a fait, et le lion magnanime
comme elle l’a voulu. Mais ce qui est plus difficile,
il connoît l’homme ; il l’observe dans les extrêmes ; il le
suit dans sa grandeur, et le rappelle au noble rang que la
raison lui destine ; il en dit toutes les misères, et le fait
frémir de sa foiblesse abandonnée dans les sables
arabiques ; il sait également intéresser ses affections au chant
du rouge-gorge, et livrer à son intelligence les hypothèses
de la formation du monde……
Dans les mouvemens gracieux d’une facilité indépendante
et sans ambition, le génie de Montesquieu fit
descendre le voile oriental sur les traits sévères de la
vérité. Les Lettres Persannes préparoient un grand

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ouvrage : mais là, Montesquieu | se contenta de
s’indiquer lui-même. Dans ce simple rayon de célébrité,
dont il lui suffisoit alors d’éclairer son nom, le sentiment
de ses forces lui découvroit le crépuscule de l’immortalité.
L’Esprit des Lois la lui donna. Des vues étendues,
plusieurs recherches savantes, une pensée énergique, des
traits rapides, une négligence majestueuse, et souvent
une admirable justesse d’expression caractérisent cette
conception grande et utile.
Moins vaste dans son objet, mais admirable dans les
détails et parfait dans l’exécution, le beau livre sur les
Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains,
avoit déjà placé Montesquieu au rang des écrivains à qui