Cette page n’a pas encore été corrigée
- de l’esprit humain consistoit précisément à réunir un plus
- grand nombre d’idées, s’il conservoit toujours le pouvoir
- d’en déterminer exactement les rapports, si rien ne le fatiguoit,
- s’il pouvoit tout voir et voir toujours bien, toute
- acquisition seroit un accroissement réel ; par cela seul
- que nos organes s’exerceroient, ils se perfectionneroient
- chaque jour, jusqu’à ce que de grandes révolutions vinssent
- briser ce tissu savant de fils innombrables, ce tableau
- scrupuleusement réglé, mesuré, compassé.
- Mais si c’est le propre de toute chose d’être affoiblie
- par trop d’extension, si l’on cesse d’être mâle en devenant
- subtil, si l’art, en vieillissant, efface les premières beautés ;
- il en sera de la langue comme de ces ouvrages du pinceau
- dont une justesse trop finie détruiroit la grace, et, par
- des recherches minutieuses, empêcheroit la majesté de
- l’ensemble. Dans les compositions les plus importantes,
[312]
- le | génie de l’art a coutume de laisser certains traits
- indéfinis, et peut-être incorrects, pour que les masses
- conservent une harmonie plus imposante. Alors l’imagination
- du spectateur ne s’attache point à estimer vainement le
- soin trop soutenu de ne tomber dans aucune négligence ;
- mais se livrant toute entière à l’admiration pour les grands
- effets, elle est encore excitée par cette partie vague et
- inconnue des choses, où, comme dans la nature, il reste
- des beautés possibles afin que chacun suppose celle qu’il
- aime davantage, et qu’il puisse découvrir dans la jouissance
- de tous une jouissance qui lui soit personnelle.
- S’il en est ainsi de toute imitation, dans la peinture,
- dans la musique, dans la langue parlée qui n’est primitivement
- qu’une extension de la musique, et dans notre
- esprit qui n’est lui-même qu’une sorte de réflexion ou de
- copie interne des figures extérieures ; il s’ensuit qu’une
- langue commence à s’affoiblir, à se détériorer, lorsqu’a-