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jetés dans l’espace. Cependant notre ima|gination est
comme infinie : en multipliant les différences par
l’incalculable, et l’incalculable par les différences, nous avons
agrandi cette imagination même par un autre infini, celui
des abstraits. Et voici que le monde de la vie individuelle
est devenu inaccessible à toute cette puissance. À peine
étions-nous aux confins de ces premiers mondes dont nous
savons positivement l’existence, que déjà nous étions
perdus dans le vide, ou plutôt dans le possible, dans
l’inconnu, dans la puissance abstraite de l’être, dans Dieu [1]
car l’infini, c’est Dieu ; l’inconnu, le possible, c’est Dieu ;
la conception suprême de l’abstrait, c’est encore Dieu.
Ils ont dit, ici bas, ceux de qui je n’ai pas été compris,
ils ont dit que je ne reconnoissois point de Dieu ;
mais ont-ils entendu ce mot, Dieu, lumière, ordre, vie !
Si Dieu n’est pas, quelque chose peut-il être ? Puissance
de l’être subsistant et réglé ! un pressentiment de l’ordre
me prosterne à ta vue, mais si j’en avois une connoissance
moins imparfaite, je serois anéanti devant toi, ô
Immuable !
Ai-je donc cessé d’avoir quelque notion du principe,

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quelque perception de la raison des choses ? | Ce feu de
la vie, dont les lueurs pénètrent sans cesse dans l’infini,
ne l’ai-je point reçu, ou l’aurois-je pu perdre ? On n’apprend
pas l’existence de cette force éternelle, on ne la
sait pas, on la voit ; et cette vue n’échappe qu’à l’enfance
  1. Toute perception de l’abstrait rapproche de l’immuable. Il n’est qu’une science qui soit religieuse, la métaphysique. C’est que l’objet de la métaphysique est le principe : les notions morales qui seules sont entièrement à la portée de l’homme, sont des conséquences des propriétés de l’être. Ainsi la Métaphysique est la base de la Morale, dont la Politique est une division.