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localités, si les rapports extérieurs des divers pays étoient
les mêmes, si l’on avoit partout même ciel, mêmes alimens,
même climat, même nombre d’hommes, mêmes
pencbans, même aptitude intellectuelle, le meilleur mode
social seroit partout le même ; un seul seroit vraiment
convenable à l’homme, c’est celui-là qu’il faudroit chercher,
tout autre seroit plus ou moins erroné. Mais dans chaque
cité l’étendue des terres et les relations avec les contrées
voisines, les inclinations premières et les besoins, toutes
les convenances diffèrent. Les institutions doivent donc
différer aussi : lorsqu’elles s’approcheront beaucoup du
type primitif, elles seront aussi bonnes qu’on le puisse
espérer de notre raison imparfaite.
Quand on voudra trouver ce type primitif, il faudra
supposer un pays inaccessible, un peuple isolé, débarrassé

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de toute influence étrangère, et | presque certain que son
édifice ne sera point renversé soit par les défaites, soit
par les triomphes d’une guerre. La guerre prévue a dénaturé
dès le principe les institutions de Lycurgue : des
guerres heureuses ont ensuite achevé de les corrompre.
L’état de guerre est directement opposé au véritable état
social : tant que la guerre sera inévitable, la perfection de
la société sera impossible.
La guerre suspend l’ordre, renverse les barrières,
change la morale, et légitime les attentats ; elle rétablit
le droit sauvage, l’instinct irréfléchi, les intérêts personnels ;
elle remet en question ce qui étoit réglé ; elle
apprend à se détacher de ce qui peut être si promptement
bouleversé ; elle ôte aux travaux constans leur objet, aux
vertus pacifiques leur prix et leur but, aux habitudes leur
sécurité, aux attachemens leurs motifs, à l’ame son repos,
à l’esprit sa règle et aux passions cette marche mesurée
qui les rendoit sociales. Dans la guerre il y a beaucoup