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impossible de voir comment on pourroit la concilier

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jamais avec cette sollicitude | pour des intérêts qui se
croisent en tous sens, et cette prévoyance pour un avenir
trop prolongé, avec cette soumission à des autorités
arbitraires, et cette déférence pour tant de prétentions
diverses, avec ces ménagemens pour tant de passions
secrètes, pour tant de caprices imprévus, pour tant de
convenances et d’usages.
Il n’y a point de liberté quand ce qui n’est pas nuisible
à tous, ne reste pas permis à tous. Là où il n’y a point
de liberté, il n’y a point de justice réelle ; car il est injuste
que l’on ne puisse faire tout ce que la liberté sociale peut
permettre.
Ce qui est juste ne dépend pas uniquement des
décisions de la cité : les lois de la nature ne le déterminent
pas non plus suffisamment. La base essentielle du juste
se compose de ce qui est propre à l’homme en société.
Chaque cité particulière choisit dans les divers modes
convenables à notre nature ; et ce choix décide quelle
partie de tout ce qui est susceptible d’être juste, sera
légitime pour ses membres. Elle ne peut restreindre par
des caprices cette partie du juste, car ce n’est pas précisément
sa volonté qui en décide ; ce sont les convenances
de ses besoins : elle délibère pour découvrir ce qui lui
est propre et ce qu’elle veut, elle le veut, parce que c’est
cela qui est bon.
Si le corps social ne se renouveloit point, il pourroit,
politiquement, régler tout par ses seules volontés,
fussent-elles même arbitraires. Mais une génération n’a

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pas le droit absolu de décider | du sort de la génération
suivante : elle n’a d’autres titres à le faire que la supériorité,
ou plutôt que l’antériorité de raison. Comme elle
voit dans quelle situation cette génération se trouvera,