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muguet, j’ai cueilli la violette. J’ignore si ces tems se

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reproduiront encore. Je | n’ai point perdu les goûts
primitifs ; mais leurs impressions ont changé lorsque mon
cœur a perdu les desirs, altérations passagères de l’être
qui sent profondément et ne végétera qu’un jour.

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Le printemps seul se revêt d’un charme indicible. Nulle
saison ne peut lui paroître comparable aux yeux qui ne
sont pas désenchantés : aux plaisirs qu’il donne, l’attente
de l’été ajoute encore ceux qu’elle promet ; mais je sens que
je lui préfère déjà la mélancolique automne, reste épuisé de

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la splendeur des beaux jours, dernier effort de vie mêlé
d’une sorte de langueur qui déjà repose et bientôt va
s’éteindre sous les frimats ténébreux.
Insensés ! nos pertes sont notre ouvrage : notre main
imprudente comprime et refroidit la nature. Les joies de

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la vie devoient durer autant qu’elle ; le sentiment du
plaisir étoit de tous les âges. Il promettoit au vieillard
même sa délicieuse ivresse pour les précieux momens du
mois des violettes, et les jours enchanteurs de la saison
des roses. Mais les fleurs du printemps, séduisante image

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des joies heureuses, sont pour les hommes fortunés qui
connoissent la passion douce des jeunes coeurs, le plaisir

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et ses illusions charmantes. La teinte | automnale des
feuilles jaunies, et ce vêtement de la nature déjà flétrie,


    feuille naissante, nous avons cueilli le lys des vallées. Ces temps se reproduiroient-ils encore ? Les goûts primitifs n’ont point péri ; mais ces impressions changent quand les désirs s’éloignent, quand la vue de ce qui est remplace le songe de ce qui pourroit être. *Nos pertes – 209. refroidit ce qu’elle a voulu façonner à notre manière. Les joies – 211-3. vieillard des émotions encore assez belles pour les momens précieux du – et pour les jours brillans de – 214-5. image séduisante de l’heureux désir, sont pour ces hommes plus fortunés – 216-7. passion des jeunes cœurs, ses illusions et ses espérances. La – 218-22. jaunies, l’attitude des plantes fatiguées conviennent mieux aux affections découragées, aux lentes rêveries, aux souvenirs qui entrent déjà dans l’oubli irrévocable.