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Ainsi ce qui est chimérique dans une acception géné-


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    sentir nos destinées, les annoncer et s’accommoder à elles par
    une sorte de concours mutuel. Seroit-il vrai de dire que ce n’est
    point le bonheur qui produit l’audace, ni l’audace qui ouvre les
    voies de la prospérité ; mais que cette confiance est naturelle à
    celui qui est heureux ? en sorte que celui-là seroit formé pusillanime,
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    à qui seroit destinée une suite de contradictions, d’infortunes
    et de revers, et cet autre confiant et entreprenant à qui tout
    devroit succéder ; comme si nous avions quelque sentiment du
    sort qui nous attend, et une sorte de prescience physique qui nous
    déterminât à la crainte ou à l’assurance convenablement à ce que
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    nous devrions éprouver.
    La confiance, dit-on, prépare les succès, l’audace les assure,
    une volonté forte maîtrise les événemens ; c’est-à-dire, les apparences
    sont telles, l’homme est formé pour voir ainsi. La volonté
    forte est destinée à avoir pour objet les événemens qui arriveront,
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    et l’on sent par ce qui vient d’être dit, combien facilement cette
    volonté, qui n’est qu’un produit des lois mécaniques du mouvement,
    se doit rencontrer souvent d’accord avec les autres produits
    de ces mêmes lois. S’il en est autrement, que l’on explique
    comment cette volonté, quelquefois si féconde en grandes choses,
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    est ailleurs arrêtée par le plus petit événement ; comment le
    héros qui paroît à Nerva contraindre les destinées, voit tous ses
    desseins audacieux anéantis par la balle perdue de Frédéricshall.
    Nul effet n’est le produit libre d’une cause particulière, mais de
    la marche universelle, et toute prétendue cause libre n’est elle-
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    même que le résultat nécessaire de causes qui lui sont antérieures
    de dix mille siècles.

    avons déjà fait de nos destinées, elles – les pressentir, les annoncer et s’y conformer par – 34. heureux ? Celui-là – 35. à qui une suite – 36. revers seroit destinée, et cet autre – 39. convenables à – 40. devons – 42-3 c’est-à-dire voilà les apparences, l’homme est formé de telle manière qu’il doit voir ainsi. Peut-être la volonté – 44. arriveront. L’on sent combien cette – 47. doit souvent se rencontrer d’accord – 49. volonté si féconde – 51. maîtriser les destinées – 52. renversés par – 54. universelle : toute – 55-6. de combinaisons effectuées il y a dix mille siècles. *L’homme audacieux s’avance de front avec sa fortune. Dès que le hasard lui a fait saisir un des grands ressorts du mouvement de la vie, il marche la tête levée ; il croit mener ce qui l’entraîne, et il circule ainsi en agrandissant son être extérieur, jusqu’au moment imprévu peut-être, où il ne restera de sa vaste existence que la nudité d’un corps infirme et d’une âme impuissamment furieuse.

  1. A. – Note 11, l. 54. de la marche du tout