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l’état en veillant sur ses | troupeaux, en fauchant ses foins,

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en faisant ses fromages.
L’île de Rousseau convient au facile abandon, à la vie
douce et reposée, que choisiroient des hommes réunis
pour s’éloigner des autres hommes, pour échapper à la
fatigue sociale, et maintenir le rêve d’un homme de bien

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à l’abri des vérités de la foule. Son indicible quiétude est
délicieuse à l’automne de la vie, et encore à ces jeunes
cœurs tristement mûris par des affections prématurées, et
dans qui le désenchantement a devancé le soir des
années ; mais elle n’est point également propre à une

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ame forte et simple qui, lasse de la vanité de sa vie et
seule parmi les hommes moulés dans la forme publique,
voudroit vivre quelques heures du moins avant le néant.
Les hautes vallées des Alpes seroient sa véritable patrie ;
il lui faut cette mâle aspérité, ces formes sévères, la

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nature grande et l’homme simple, la permanence des
habitudes nomades, et des monts immuables ; il lui faut
des hommes, tels qu’ils étoient avant les tems nouveaux,
puissans par leurs organes et forts dans leurs sensations,
enfans dans les arts, et bornés dans leurs besoins. Il

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lui faut des formes alpiennes ; le repos sauvage, et des

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sons | romantiques [S 1] ; le mugissement des torrens fou-


    où une partie de la Suisse étoit libre ; maintenant la liberté est
    égale dans tous les cantons ; les Alpes et la plaine ont une même
    constitution.

  1. Je sais que beaucoup de gens traitent de manie sauvage le
    goût des montagnes, préférant les plaines parce que les voitures
    y roulent mieux, que l’on y voit plus de meules de blé, et que
    les rivières en sont plus marchandes ; je sais qu’un plus grand
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    nombre encore voyent indifféremment toute terre, pourvu qu’elle
    présente des commodités et des ressources, et que les hommes y
    soient serviables ; et assimilant les champs de la Suède à ceux de
    l’Andalousie, et les bords du Gange aux rives du Labrador,
    vont indifféremment où leurs projets de fortune les appellent ;
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    et quand ils se veulent fixer dans une contrée nouvelle, s’in-