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douces, et servît à la prudence des vieillards pour former

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des hommes bons dans la génération naissante.
Mais que servent tous ces songes d’un bonheur qui ne
nous est pas donné ? choisirons-nous des devoirs selon
notre cœur, comme s’il nous étoit jamais permis de suivre
son vœu ? Cependant cette supposition n’est pas chimérique ;

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il fut même un tems où elle parut probable, et
l’avenir peut en amener la réalité, ou du moins en reproduire

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l’espérance, | Asile long-tems desiré, île heureuse,
que le bon J.-J. a tant regretté [S 1], c’est dans ton sein que
je voudrois vivre ; c’est au milieu des eaux qui t’embellissent,

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que je voudrois circonscrire et tous mes desirs et
toute mon existence. C’est-là qu’avec des hommes faits
pour une vie moins factice, je voudrois que le reste du
globe me devînt étranger comme tous ces mondes que
nous oublions dans l’espace des cieux.

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Isle heureuse, que te manque-t-il pour le bonheur de
tes habitans ? Tes prairies sont riantes et tes vergers
féconds. La fraîcheur des bois ombrage ton sommet ; les
plus belles eaux t’environnent, tu renfermes tout ce qui
est convenable à l’homme, et le sublime se déploie à ta
vue. Quoi de plus majestueux que la chaîne d’Alpes qui
borne ton horizon ? quoi de plus pittoresque que les monts

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du Jura qui t’abritent au Nord [S 2], et les rocs | d’Erlach
  1. Isle de la Motte ou de St-Pierre, dans le lac de Bienne.
    Sur le séjour de J.-J. dans cette île et sur ses regrets, voyez la
    cinquième prom. des Rêveries du promeneur solitaire.
  2. Le Jura ne garantit pas l’île des vents septentrionaux ; mais
    elle en reçoit un avantage : sans eux les marais de la Thièle,
    placés au S. O., pourroient nuire à la pureté de son atmosphère.
    Le vent de N. E. règne fréquemment dans toute cette grande
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    vallée de la Suisse, qui s’étend à peu près du N. E. au S. O.,
    entre les Alpes et le Jura. Mais indépendamment des vents,
    l’exposition vers le pôle a des effets sensibles, dont je ne crois pas
    que la cause ait encore été recherchée : ce sont eux dont l’île est