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- nous dégrader, et le mal est au-delà comme avant la
- limite. Si nous pouvons abuser de ce penchant, le plus
- bel attribut, dit-on, de l’espèce humaine, mais qui par sa
- nature en est aussi le plus dangereux ; si cet excès de nos
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- desirs et cette erreur de notre raison sont évidemment
- possibles, ne conviendroit-il pas, dans l’impétuosité d’une
- course dont le terme touche aux abîmes, d’observer sur-
- tout la limite qu’il est bon d’atteindre et dangereux de
- franchir ? si nous ne la voyons plus au-delà du point où
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- nous sommes parvenus, si notre marche devient incertaine,
- chancelante, pleine d’obstacles, de faux pas, et plus que
- jamais pénible, suspendons cette erreur aveugle, ouvrons
- les yeux malgré la répugnance d’un effroi qui plutôt
- devroit éveiller une attention nécessaire. Regardons en
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- arrière ; si le but est passé, s’il est déjà loin de nous, nous
- obstinerons-nous à avancer encore vers ce terme trompeur
- que notre imagination nous promet toujours en nous
- éloignant toujours au risque de nous précipiter ? Notre
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- fatigue même ne doit-elle | pas plutôt nous faire
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- rétrograder vers le repos certain, vers ce but invariable, seul
- asile assuré et permanent ; et notre répugnance pour ce
- retour pénible, mais nécessaire, doit-elle être invincible ?
- Je suppose qu’il ne reste plus qu’à examiner impartialement
- si l’on n’a pas été trop loin ; et je ne pense point
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- que celui qui n’est pas ébloui par de séduisans dehors
- puisse douter un moment. Je ne calcule pas la somme des
- biens et celle des maux ; cette estimation seroit difficilement
- exacte, et quelqu’en soit la disproportion, je ne
- serois pas surpris que l’on parvînt à un résultat douteux.
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- Mais cette estimation, fût-elle bien faite ; y eût-il, ce que
- je ne crois nullement, dans le sort de l’homme actuel autant
- de plaisirs que de misères, des joies aussi grandes que le
- sont ses douleurs, cela ne prouveroit point encore. On