Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/227

Cette page n’a pas encore été corrigée
faux. Le génie étendu voyant tout, ou du moins considérant
également tout ce qu’il peut atteindre, est nécessairement
impartial ; il ne sauroit être toujours exempt d’erreurs ;

300

mais toujours il sera libre de préjugés : d’ailleurs trop
vaste pour croire qu’il n’y a d’existant que ce qu’il connoît,
il saura douter, et ne s’égarera pas sans s’avouer
que sa route est incertaine. S’il affirme, il peut être cru ;

[270]

non | que toujours il sache le vrai, mais parce qu’il

305

n’affirme que ce qu’il sait certainement.
Je cherche à quel homme il appartient d’entendre la
nature, d’approfondir le cœur humain, de déterminer les
formes sociales.
Il n’est qu’un objet digne d’un cœur généreux, d’une

310

grande ame, d’un vaste génie. Tout être animé dirige ses
facultés à l’amélioration de son sort. Cette fin est la seule
raison particulière de son être, la seule qui lui soit connue,
et qu’en effet il lui importe de connoître. L’individu
uni à l’espèce par ses propres besoins, obéit à cette

315

tendance en la servant. Parmi les hommes, le sort de chacun
plus dépendant de celui de tous et les sentimens plus
communiqués et plus expansifs, font avec plus d’étendue,
de l’intérêt général l’intérêt particulier, et du bien de tous,
la loi de chacun. Tout homme social doit à ses semblables

320

l’emploi de ses facultés ; si elles sont bornées, elles ne
servent que ceux qui l’entourent ; si ses talens sont vastes,
leur utilité s’étend dans une sphère moins limitée ; si ses
moyens sont sublimes, le bien du genre humain devient
son objet. En vain le sage chérit la paisible obscurité ; il

325

doit à la foule qu’il peut guider, ses pensers profonds et

[271]

son | génie régénérateur. C’est sans doute une loi de la
sagesse de vivre loin des affaires et des passions, de la
fortune et des hommes. La raison détrompée des erreurs
sociales et des vanités humaines s’éloigne d’un monde qui