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d’équilibre, c’est l’âge des grandes choses ; la force, le
génie, tout est mûr dans l’homme ; c’est, si l’on veut,
dans sa vie le moment de l’expression harmonique. Dans
la jeunesse on ne fait, parmi nous, que se picparer pour
ce que l’on entreprendra ; dans le retour de l’âge on

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n’est guères capable que de poursuivre ce que l’on a
entrepris.

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L’homme passionné a moins besoin d’impulsions
extérieures ; le principe du mouvement est en lui. Mais celui
qui n’a point de passions, ou celui qui juge ses passions

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mêmes, pour qui il n’est plus d’illusions, et qui veut suivre
la froide raison, celui-là a besoin d’un moteur pris dans
les événemens. Comme il est désabusé, il ne cherchera
rien ; il ne s’agitera pas, parce que ses desirs sont modérés,
ou qu’il les surmonte. Il suivra son sort, il ne le

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créera pas ; et si son sort le conduit à l’apathie, il n’en
sortira pas. Sa raison blâmera cet abattement, mais elle
ne le détruira point ; la volonté qu’elle produira sera
forte, sans être active ; je veux dire que s’il faut
nécessairement agir, elle résistera à tout pour suivre

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l’impulsion qu’elle aura choisie ; mais qu’en vain elle
déterminera celle qu’il faudroit suivre, si elle est dans une
position où elle puisse n’en suivre aucune, et dans cet
état de langueur où l’on desire n’en suivre pas. On a
vu des paralytiques, qui n’eussent pu faire un mouvement

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si on leur eût froidement annoncé que de ce seul
mouvement dépendoit leur existence, on les a vu se
lever et marcher vivement dans un moment d’effroi subit

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ou de violente colère. La plus | forte volonté réfléchie


    dans une sorte d’équilibre au milieu de la vie, c’est – 70-6. choses. La jeunesse, parmi nous, ne peut que se préparer pour ce qu’elle entreprendra : la vieillesse ne peut que poursuivre ce qu’elle a commencé.