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D’où l’on | verra, si l’on y regarde bien, que cette liberté
de la vie n’est que le pouvoir de suivre l’ordre de choses
qui nous convient le plus, et de décider une fois ce qu’il
nous importera de choisir toujours, chose que nous avons

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en effet bien le droit de décider [S 1].
Il s’ensuivroit que la liberté civile elle-même ne seroit
que le pouvoir d’être tel qu’il conviendroit le mieux à
notre nature. Ce qui expliqueroit comment, malgré tous
les préjugés de la politique, on n’est libre qu’avec de

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bonnes institutions ; comment il se peut que l’on soit libre
accidentellement sous un despote ; comment la vie privée
est ordinairement si assujettie dans les pays libres ;
comment cet assujettissement lui-même peut être la liberté ;

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et même comment la liberté inaliénable de l’homme | s’accorde

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très-bien avec sa dépendance nécessaire et de
l’influence des choses et de ses propres impulsions.
Quoi ! vous ne sentirez jamais vous par qui les formes
sociales se modifient, ou se maintiennent, vous ne
sentirez jamais qu’il est contradictoire que tous se consacrent

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à un avantage qui ne soit pas celui de tous ; qu’il est
illusoire que les passions ambitieuses conduisent à la félicité,


    plus convenable, et nul ne peut plus légitimement que soi-même
    prescrire quel ordre de choses on veut embrasser ; mais quand
    on délibère sur le présent, l’impartialité devient d’une difficulté  
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    extrême, et il arrive presque toujours que l’on se laisse séduire
    par le goût actuel, ou l’intérêt du moment présent, qui rarement
    est le goût que l’on conservera, et l’intérêt de l’ensemble de la
    vie.

  1. Dans des lieux où ce choix entraineroit trop d’inconstance
    ou d’irrésolutions, et des desirs trop vagues et trop ambitieux ; il
    pourroit arriver que l’exercice de ce droit naturel rendît moins
    heureux que les suites des institutions qui l’ôteroient.
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    Chaque considération nouvelle m’amène toujours à condamner
    ce qui résulte généralement des grandes sociétés ; car que
    pourroit-on attendre de convenable et d’heureux pour l’homme là où
    les lois de sa nature, et ses droits les plus inaliénables, sont presque
    tous criminels ou même funestes ?