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les maux sans exception ; au contraire il n’en est qu’un

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petit nombre que l’on y puisse rapporter ; tout le reste
est bien ou mal positif. C’est ainsi que l’on pense d’abord ;
et si cette croyance n’est pas la vérité, du moins ce n’est
qu’à force de distinctions et de subtilités que l’on parvient
à l’infirmer ; elle sera donc reçue par-tout où l’on

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ignorera le mérite des sophismes et l’art de disputer.
Dans l’alternative de ces deux hypothèses exclusives,
tout est mal, ou tout est bien ; la première ne paroît pas
soutenable : comment imaginer une cause au mal général,

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l’ordre résultant du mal-être universel, et une per|manence

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produite par la destruction de toutes choses ? la
seconde est bien plus imposante ; mais, si on ne la modifie,
elle ne sauroit rendre raison de ce que nous voyons
par-tout ; elle n’explique point la nature. L’optimiste peut
avoir raison quand il dit, que tout est bien pour le tout ;

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mais il est fanatique de son système, quand il ajoute que
dans le bien général il ne peut y avoir de mal individuel.
Sans doute, le tout ne contenant nécessairement que les
propriétés de ses parties, si le tout étoit parfait à notre
manière, chaque être en particulier le seroit aussi, et l’équilibre

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harmonique des contraires ne seroit qu’une chimère.
Mais tout être sensible souffre [S 1] ; nous ne parviendrons
pas à le nier de bonne foi, ainsi cette puissante objection
se change en une preuve que l’on pourroit dire invincible.
Il faut bien avouer que le desir des jouissances, desir

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nécessaire à notre conservation, nous abuse dans l’idée
que nous nous formons de la perfection absolue des êtres,

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et qu’au | contraire, cette perfection que nous ne voyons
que dans l’absence de tout mal et le concours de tous les
  1. La sensibilité est probablement commune à tous les êtres ;
    mais qu’elle soit particulière à quelques-uns ou absolument générale,
    il n’importe ici ; les conséquences restent les mêmes.