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beaucoup plus foible, suffit seulement à l’organisation ; il
maintient dans la plante le mouvement nécessaire pour
conserver et nourrir son ensemble ; et, si vous voulez, il
n’y produit rien de plus.

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Vous expliquerez ainsi les différences incalculables que
la nature a établi entre les êtres organisés, depuis l’être
inconnu, mais probable, beaucoup plus intelligent que
l’homme, jusqu’à l’être, aussi probable et aussi inconnu,
moins organisé que la pierre. Vous ne trouverez plus

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contradictoire la gradation fortuite des êtres ; vous ne
ferez plus de ces classes imaginaires que l’observation de
la nature dément sans cesse, et auxquelles vous forçoient

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le double | préjugé de l’ame humaine essentiellement
distincte du principe qui anime la bête, et de ce principe

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essentiellement différent de celui qui fait végéter la plante ;
vous ne soutiendrez plus, malgré l’évidence dont la
conviction vous accuse intérieurement, que la distance entre
l’intelligence de l’ingénieux éléphant et celle du plus
stupide maron [S 1] des Alpes, est plus décisive que celle de

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cet imbécille même au plus ingénieux des hommes.
Ceux qui ont voulu que l’ame fût une substance
particulière, un être réel autre qu’une matière subtile et active,
ont été réduits à affirmer des assertions contradictoires,
ou bien à admettre les deux ames, l’une sensitive et

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l’autre raisonnable ; celle-ci absolument spirituelle, mais
l’autre matérielle, afin que l’on conçoive du moins
comment nos organes produisent nos sensations. Mais, même
en adoptant ces deux ames, il restera toujours à expliquer
comment la pensée, principe immatériel, ame raisonnable,

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est unie à la sensibilité, principe subtil mais matériel, ame

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sensitive. Ainsi l’on | n’aura tranché la difficulté que pour
  1. Voyez sur ces hommes affectés de goîtres et d’idiotisme, les
    ouvrages dé Bourrit, de Saussure, etc., sur les Alpes.