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et moins encore que cette différence soit toute entière à
l’avantage de la substance inférieure et mortelle sur la
substance excellente et impérissable. De plus, si les esprits
ne s’entendent ici que par l’entremise des corps, lorsqu’il

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n’y aura plus de corps, resteront-ils ainsi isolés, inconnus
les uns aux autres, et ne pouvant plus se transmettre leurs
conceptions parce que les organes de la parole ou de
l’ouïe ne sont plus ? Si on leur suppose alors des moyens
nouveaux, que rien ne peut nous annoncer dans cette

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vie corporelle, leur nature sera donc changée puisque
leurs moyens seront essentiellement différens ; et comment
un être peut-il changer de nature ? comment peut-il
changer de nature et rester le même ? et s’il ne reste pas
le même, comment la rémunération sera-t-elle possible ?

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ou bien, sans la rémunération, quelle preuve vous
reste-t-il, et quel sera le but de l’union de l’ame avec
le corps ? Il ne faut rien moins que cette fin pour
rendre, non pas probable, mais moins inconcevable, cette
union d’un jour entre deux substances essentiellement

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contraires dans leur nature, dans leur but, dans leur durée.
Comment concevoir cette union instantanée, (et sans

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résultat s’il n’y a point de rémunération) | entre un être qui
s’organise un jour et se dissout pour jamais, et celui qui
commence avec lui, qui se développe par ses organes,

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qui lui est étroitement uni, qui lui est même assujetti et
s’affoiblit avec lui, qui néanmoins, lorsque celui-ci périt,
le quitte intact et indissoluble pour lui survivre à jamais
sans conserver de trace de sa première union ; et qui, après
avoir dépendu un moment, perd pour l’éternité toutes les

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marques de sa dépendance, partage sa durée immortelle
en deux parties essentiellement différentes, l’une d’une
heure et l’autre incalculable ; et reçoit, dans sa durée,
deux manières d’être, ou plutôt deux natures si différentes