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bornés c’est en les étendant imprudemment dans

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l’indéfini qu’on a fait naître cette attente illimitée que
maintenant l’on affecte de donner pour preuve d’une
destination supérieure à la vie terrestre. D’où viendroit à
l’habitant de la terre le besoin de ce que la terre ne
contient point, et à des organes éphémères des

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conceptions éternelles. Mais, a-t-on dit, les lois seront insuffisantes
si l’on n’admet [S 1] un Dieu qui observe quand les
regards des hommes ne peuvent atteindre, qui peut encore
punir quand on échappe aux vengeances humaines, et
qui, commandant par les remords, ôte l’espoir de les

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étouffer et le dangereux courage de les mépriser. Ainsi en
s’écartant des indications de la nature, on s’est vu autorisé
à consacrer des erreurs qui, outre les maux qu’elles
produisent, seroient déjà funestes à l’ordre social par cela

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seul qu’elles | ne peuvent avoir qu’une autorité précaire et

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que se dissipant un jour, elles abandonnent dans une
nudité ridicule tout cet échafaudage moral dont elles
déguisoient la subversion.
Sans le bonheur qui la rend juste et nécessaire, la
moralité de nos actions n’est plus qu’une chimère que

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nous respectons par erreur ou par contrainte, que nous
méprisons dès que nous sommes désabusés et que nous
désavouons hautement si nous nous sentons assez forts.
Pour gouverner les hommes sans les rendre heureux,
il étoit indispensable de les tromper, et les moyens

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religieux étoient les plus puissans. Mais la vérité seule est

[JM 1]

  1. Ce que l’on croit nécessaire pour l’homme civilisé tel qu’il
    est, seroit du moins très-superflu pour l’homme civilisé tel qu’il
    pourroit être.
  1. C, XXe Rêv., p. 132 = l. 328-330. – 329-30. n’est respectée de la
    multitude que par – contrainte.