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SEPTIÈME RÊVERIE

Occupés de projets, de desirs, de sollicitudes sans
nombre ; toujours distraits des choses présentes, toujours
attachés où nous ne sommes pas, et multipliés hors de

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nous-mêmes ; dépendans de mille événemens étrangers et
toujours incertains ; liés par nos besoins factices, par nos
desirs sans bornes, par tous nos préjugés et nos alarmes ;
nous sommes agités de la mobilité générale de tout ce qui
s’altère et change sans cesse ; et nous ne reposerons

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jamais, parce que le cours de tant de choses ne sauroit
s’arrêter avec nous. Dans l’ordre primitif, nos relations et
nos besoins circonscrits et simples, n’occupoient chaque
instant que d’une affection unique ; et bientôt ce desir
étoit pour jamais oublié, soit qu’il s’éteignît dans la

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possession de son objet, soit qu’il fût effacé par un besoin
plus pressant.
Un mobile est nécessaire à l’être actif ; des desirs

[JM 1]

  1. C, XIIe Rêv., p. 67-70 = l. 2-64 et note 1. – 2-3. Occupés de désirs sans nombre, de projets, de sollicitudes, toujours – 5-11. nous-mêmes, dépendans de volontés étrangères, et liés aux événemens les plus incertains par nos préjugés et par nos besoins factices, nous ne pouvons avoir de repos que tout ne s’arrête avec nous ; ou, en d’autres termes, le repos nous est impossible. Ces alarmes dont nous espérons toujours la fin, parce que chacune en particulier peut être surmontée, ces alarmes se reproduiront dans une succession aussi durable que nous, ou même elles se multiplieront dans une progression qui consumera la vie avant le terme. *Dans l’ordre – 13-4. unique ; il n’y avoit point de discordance. Bientôt ce désir étoit oublié pour jamais, soit – 15. de l’objet – 16-7. pressant. Nous n’avons plusieurs besoins actuels, que parce que notre imagination inquiète parvient à mettre l’avenir dans le présent même. Cette habitude de prévoyance nous évite quelques maux, qu’elle remplace par le malheur perpétuel de ne pouvoir retrouver durant une seule de nos heures, cette libre insouciance dont jouissent les autres êtres,