Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

15

terme de ses maux, il ne veut point être consolé. L’excès
caractérise et nos douleurs et nos joies ; il produit et nos

[105]

vertus et nos | forfaits. Nous portons en tout une sorte
d’enthousiasme, un certain besoin de nous livrer à toute
la fougue du penchant, dans la colère comme dans la

20

joie, dans la bienveillance, l’amour, les vengeances. Nos
vertus sont extrêmes comme nos erreurs ; car il n’est point
de détermination sans passion, de passion sans excès, ni
d’homme sans passion.
L’on a aimé, dans toutes les parties du globe, ces boissons

25

fermentées, dont les esprits exaltent et agitent jusqu’à
l’égarement de l’ivresse. L’infortuné veut oublier un
moment et son sort et lui-même, et l’heureux cherche un
bonheur plus grand. Le premier degré est celui du bien-
être, le second celui de la joie ; viennent ensuite l’oubli,

30

l’égarement, la fatigue et la destruction. Malgré cette
progression inévitable expérimentée chaque jour, peu
d’hommes savent s’arrêter à ce premier bien-être, et, dans
cette joie légère, ne pas chercher une joie plus forte : la
plupart sont toujours entraînés par ce besoin d’aller au-

35

delà ; toujours éprouvant et pourtant oubliant toujours
qu’il n’est point de bien extrême, et qu’au-delà du sommet
commence la chûte.
L’opium dans l’Orient, le bethel vers le Gange, le coca

[106]

dans les mines du Potose ; le | tabac, le café, les liqueurs

40

spiritueuses chez tous les peuples [S 1] ont produit des goûts


  1. Le sauvage, à qui les vins et les eaux-de-vie répugnent
    d’abord, s’y livre ensuite immodérément dès qu’il connoît leurs
    effets. Les inconvéniens du vin, les dangers de l’opium ne feront
    renoncer ni à l’un, ni à l’autre.

    terme, il – 16-7. douleurs et nos jouissances. Nous portons – 20. bienveillance, dans l’amour, dans les – 23-42. passion. *Les alimens –