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retient ses larmes. Sa mère, livrée à l’emportement d’une douleur furieuse, découvre son sein tout entier, et se frappe à coups redoublés : elle accuse les dieux, elle accuse Jupiter lui-même, et remplit tout l’Œta de ses cris lugubres. « Vous déshonorez mon trépas, ô ma mère ! lui dit Hercule ; arrêtez vos larmes, et concentrez en vous-même votre douleur. Pourquoi donner par vos pleurs de la joie à Junon ? elle se plaît sans doute aux tourments de sa rivale ; cachez votre faiblesse ; c’est un crime à vous de meurtrir le sein qui m’a porté, les mamelles qui m’ont nourri. »

Il dit, et poussant un cri terrible, du même air qu’on le vit jadis mener par les villes de la Grèce le chien du Tartare, lorsqu’il remonta victorieux des enfers, de Pluton et de la destinée, il s’étend sur le bûcher. Quel triomphateur parut jamais plus calme et plus fier sur son char de victoire ? quel monarque montra jamais plus de majesté dans l’exercice de sa puissance ? quelle tranquillité dans ce moment suprême !

Nos larmes cessent de couler ; son courage nous fait oublier à nous-mêmes notre douleur ; il va mourir, et nul ne pense à pleurer sur lui ; on ne le pourrait même sans rougir ; sa mère elle-même, dont le sexe permet des pleurs, n’en laisse plus couler de ses yeux, et le calme de son âme égale presque le calme de son fils.

La Nourrice

N’a-t-il fait aux dieux aucune prière avant de mourir dans les flammes ? n’a-t-il pas invoqué son père ?