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CONSOLATION
A MARCIA.


I. Si je ne vous savais, Marcia, aussi éloignée de la pusillanimité de votre sexe que des autres faiblesses de l’humanité ; si votre caractère n’était admiré comme un modèle des mœurs antiques, je n’oserais m’opposer à une douleur comme la vôtre, douleur à laquelle des hommes mêmes s’abandonnent sans pouvoir s’en arracher. Je ne me serais pas flatté, dans un moment si défavorable, près d’un juge si prévenu et pour une cause si désespérée, de réussir à vous faire absoudre la fortune. J’ai été rassuré par votre vigueur d’âme bien connue, et par ce courage dont vous avez donné une éclatante preuve. On n’ignore pas quel fut votre dévouement à la personne d’un père pour lequel votre tendresse fit les mêmes vœux que pour vos enfants, sauf celui de le laisser après vous, et ce vœu même peut-être encore l’avez-vous formé : car les grandes affections se permettent bien des choses au-delà des sentiments les plus légitimes. Quand votre père, Cremutius Cordus, résolut de mourir, vous vous opposâtes de toutes vos forces à son projet ; dès qu’il vous eut prouvé que c’était l’unique moyen d’échapper aux satellites de Séjan et à la servitude, sans approuver sa détermination, vous y prêtâtes une adhésion forcée, vos larmes coulèrent publiquement ; vous étouffâtes vos gémissements, il est vrai, mais ce ne fut pas sous un front joyeux, et