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qu’il se trouve des gens d’une philosophie dure plutôt que courageuse, qui nient que le sage puisse connaître la douleur. Mais il paraît que ces hommes ne sont jamais tombés dans les souffrances ; autrement la fortune eût déconcerté leur fière sagesse, et les eût contraints, en dépit d’eux-mêmes, à confesser la vérité. La raison aura fait assez, si elle retranche le superflu, l’excès de la douleur ; quant à la supprimer toute, ne l’espérons, ne le désirons pas.

Qu’elle garde plutôt une mesure qui, sans ressembler à l’insensibilité ni au délire, nous maintienne dans l’état d’une âme affectée, mais non jetée hors de son siège. Que vos pleurs coulent, mais qu’ils coulent pour cesser bientôt : que des gémissements s’échappent de ce cœur brisé ; mais qu’ils aient leur terme. Réglez votre affliction de manière à la justifier aux yeux des sages comme à ceux de vos frères. Faites que la mémoire de celui qui n’est plus puisse s’offrir à vous souvent et avec charme ; dans vos discours, parlez maintes fois de lui, et que vos souvenirs vous le représentent sans cesse. Or, il faut pour cela savoir trouver dans ces souvenirs plus de douceur que d’amertume. Car il est naturel que l’esprit finisse par s’éloigner des pensées auxquelles il ne revient qu’avec tristesse. Rappelez-vous tant de modestie, tant d’aptitude à entreprendre, d’habileté dans l’exécution, de fidélité dans les engagements. Racontez aux autres toutes ses actions, toutes ses paroles, et redites-vous-les à vous-même. Pensez à ce qu’il fut, et à tout ce qu’il promettait d’être. Car que ne pouvait-on pas hardiment espérer d’un tel frère ?