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comme autant d’oracles : son autorité plus humaine brisera la force de votre douleur. Figurez-vous l’entendre vous dire : « Tu n’es pas la seule victime que la fortune se soit choisie, et qu’elle ait si indignement traitée. Existe-t-il, exista-t-il jamais, sur toute la face du globe, une seule maison qui n’ait pleuré quelque catastrophe ? sans m’arrêter à des faits vulgaires qui, plus obscurs, n’en sont pas moins frappants, c’est à nos fastes, aux annales de cette république, que je te ramène. Tu vois toutes ces images qui remplissent le vestibule des Césars ? En est-il une que n’ait rendue fameuse quelque grande peine domestique ? Est-il un de ces hommes, ornements des siècles où ils ont brillé, qui n’ait eu le cœur déchiré du trépas des siens, ou qui ne leur ait lui-même laissé les plus cuisants regrets ? Te rappellerai-je Scipion l’Africain apprenant dans l’exil la mort de son frère ? Il l’avait arraché à la prison, mais à la mort il ne put le soustraire, et tous avaient vu combien sa tendresse pour lui se révoltait même contre les droits les plus justes, car le jour même où il enleva ce frère des mains de l’officier du tribun, il osa, homme privé, s’opposer à ce tribun du peuple. Eh bien ! cet homme supporta la mort de son frère avec autant de courage qu’il l’avait défendu. Te citerai-je Scipion Emilien, témoin, presque en un seul et même moment, du triomphe d’un père et des funérailles de deux frères ? Et néanmoins, quoique adolescent à peine, et touchant encore à l’enfance, il vit sa famille ensevelie sous les trophées de son chef, il contempla ce brusque vide avec la fermeté d’un héros né pour faire revivre dans Rome les Scipions, et pour détruire Carthage.

XXXIV. « Que dire des deux Lucullus, dont l’heureuse union