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voit lui survivre Polybe et tous ses frères. Avant qu’elle changeât rien de ses faveurs, il a quitté la fortune immobile encore, et qui lui versait ses dons à pleines mains. Il jouit maintenant d’un ciel pur et sans nuage ; il a, de cette humble et basse région, pris son vol vers le séjour mystérieux qui ouvre aux âmes dégagées de leurs fers ses demeures bienheureuses. Dans son vague et libre essor, il découvre tous les trésors de la nature avec un suprême ravissement. Détrompez-vous, il n’a point perdu la lumière, il en respire une plus paisible, vers laquelle nous nous acheminons tous. Que plaignons-nous son sort ? Il ne nous a pas quittés, il a pris les devants.

XXIX. C’est, croyez-moi, un grand bonheur que de mourir au temps de la félicité. Rien n’est sûr ici-bas, fût-ce pour un seul jour. Dans l’impénétrable obscurité de ce qui doit être, qui devinera si pour votre frère la mort a été jalouse ou bienveillante ? Et une consolation infaillible pour vous, qui êtes juste en toutes choses, sera de penser, non qu’un tort vous a été fait par la perte d’un tel frère, mais que vous êtes redevable au ciel d’avoir joui longtemps et pleinement de sa tendresse. J’appelle injustice, disputer au bienfaiteur tout droit ultérieur sur ses dons ; avidité, ne pas tenir pour gain d’avoir reçu, mais pour dommage d’avoir restitué ; ingratitude, nommer disgrâce le terme de la jouissance ; j’appelle déraison, s’imaginer qu’on ne peut goûter que des biens actuels, au lieu de se reposer aussi sur les fruits du passé et d’apprécier la fixité de ce qui fut jadis : car là du moins plus de révolution à craindre. On resserre trop ses jouissances, si on n’en croit trouver qu’aux choses que l’on tient et qu’on voit, si les avoir possé-