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activité. Du jour où César s’est voué au bonheur du genre humain, il s’est ravi à lui-même ; pareil aux astres qui poursuivent leur cours sans fin comme sans relàche, il lui est défendu de s’arrêter jamais, de disposer d’un seul instant. A bien des égards la même nécessité vous commande, vous arrache à vos goûts et au soin de vos intérêts.

Tant que César gouverne la terre, vous ne pouvez le moins du monde vous livrer ni aux plaisirs, ni à la douleur, ni à rien qui vous soit personnel : vous vous devez tout à César. Et que dis-je ? puisque César, vous l’avouez hautement, vous est plus cher que votre vie, tant qu’il respire, vous ne sauriez, sans injustice, vous plaindre de la fortune. Tous les vôtres revivent en lui : vous n’avez rien perdu, vos yeux doivent être secs, sereins même : vous trouvez tout en lui, il vous tient lieu de tout. Il répugnerait trop à votre sagesse, à votre âme sensible et reconnaissante, de méconnaître votre félicité jusqu’à oser déplorer votre sort du vivant de César.

Je vous indiquerai encore un autre remède, non sans doute plus puissant, mais d’un usage plus familier. C’est sous votre toit que vos chagrins menacent de vous saisir au retour : car, en présence de votre divinité, ils ne sauraient trouver accès ; César les comprime tous en vous ; mais, une fois loin de lui, la douleur, comme trouvant l’occasion, tendra des pièges à votre isolement, et peu à peu elle se glissera dans votre âme livrée au repos. Ne laissez donc aucune partie de votre temps inoccupée par l’étude : c’est maintenant que vos Muses chéries, si longtemps et si fidèlement aimées, vous paieront de retour ;