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déplore la naissance de ses enfants ; celui-là gémit de leur perte. Les larmes nous manqueront plus tôt que les motifs d’en verser. Ne voyez-vous pas quelle existence nous a promise la nature en voulant que les pleurs fussent le premier augure de notre naissance ? Tel est le début de la vie, et la suite de nos ans y répond ; c’est dans les pleurs qu’ils se passent. Que ceci nous apprenne à nous modérer en ce qui doit se renouveler si souvent ; et, en voyant se presser sur nos pas cette masse d’afflictions imminentes, sachons tarir ou du moins réserver nos larmes. S’il est une chose dont il faille être avare, c’est de celle surtout dont l’usage n’est que trop fréquent. Pensez aussi, pour vous raffermir davantage, que le moins flatté de votre douleur est celui à qui elle semble s’adresser. Ou il vous la défend, ou il l’ignore. Rien n’est donc moins raisonnable qu’un hommage qui, offert à un être insensible, est stérile, et qui, s’il est senti, déplaît.

XXIV. Est-il un homme dans tout l’univers pour qui votre deuil soit un sujet de joie ? Je dirais hardiment que non. Eh bien, ces mêmes dispositions que nul ne nourrit contre vous, vous les prêtez à votre frère, en croyant qu’il voudrait vous déchirer le cœur, vous arracher à vos travaux, à vos nobles études, à César ! La chose est-elle vraisemblable ? Celui dont vous obteniez une affection fraternelle, une vénération presque filiale, un culte dû à vos lumières supérieures, celui-là vous demande des regrets, mais non du désespoir. Quel charme trouvez-vous au chagrin qui vous constitue, quand votre frère, s’il y a chez les morts quelque sentiment, désirerait y mettre un terme ? S’il s’agissait d’un frère moins tendre, dont le cœur fût