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leurs stratagèmes, il faut les confondre. »

Cependant, en reprochant aux hommes leurs erreurs, on doit les éclairer, et ne se pas borner à les plaindre.

(2) La vie se divise en trois temps : le présent, le passé et l’avenir. Le présent est court, l’avenir incertain ; le passé seul est assuré : car sur lui la fortune a perdu ses droits ; et il n’est au pouvoir de personne d’en disposer de nouveau.

(3) Les hommes occupés d’affaires n’en tirent aucun parti, car ils n’ont pas le loisir de porter un regard en arrière ; et quand ils l’auraient, des souvenirs mêlés de regrets ne leur sont point agréables. C’est malgré eux qu’ils se rappellent le temps mal employé ; ils n’osent se retracer des vices dont la laideur s’effaçait devant la séduction du plaisir présent, mais qui, au souvenir, se montrent à découvert. Nul homme ne se reporte volontiers dans le passé, si ce n’est celui qui a toujours soumis ses actions à la censure de sa conscience, qui jamais ne s’égare.

(4) Mais celui qui fut dévoré d’ambition, celui qui se montrait insolemment dédaigneux, qui abusa sans mesure de la victoire, celui qui fut un fourbe, un déprédateur avare, un dissipateur insensé, doit nécessairement craindre ses souvenirs. Et cependant cette portion de notre vie est sacrée, irrévocable : elle se trouve hors de la puissance des évènements humains et affranchie de l’empire de la fortune. Ni la pauvreté, ni la crainte, ni l’atteinte des maladies ne peuvent la troubler : elle ne saurait être ni agitée, ni ravie ; nous en jouirons à jamais et à l’abri des alarmes. C’est seulement l’un après l’autre que chaque jour devient présent, et encore n’est-ce que par instants qui se succèdent ; mais tous les instants du passé se représenteront à vous, quand vous l’ordonnerez :