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ne sont pas sans excuse. Joignez-y, j’y consens, les avares, les hommes colères, ceux qui se livrent à des inimitiés ou à des guerres injustes : eux, au moins, commettent des fautes plus convenables à des hommes. Mais ceux qui se plongent dans l’intempérance et dans la débauche se dégradent entièrement.

(2) Examinez l’emploi que ces gens-là font de tout leur temps ; observez combien ils en perdent à compter leur argent, à tendre des embûches, à s’inquiéter ; combien à rendre ou à recevoir des dommages obséquieux ; combien à obtenir pour eux ou à offrir pour un tiers des cautions en justice ; combien à défendre leur cause ou celle d’autrui ; combien à donner des repas qui maintenant sont des devoirs : et vous verrez que leurs maux ou leurs biens ne leur donnent pas le temps de respirer.

(3) Enfin tout le monde convient qu’un homme trop occupé ne peut rien faire de bien : il ne peut cultiver ni l’éloquence ni les arts libéraux ; un esprit tiraillé, distrait n’approfondit rien ; il rejette tout comme si on l’eût fait entrer de force ; l’homme occupé ne songe à rien moins qu’à vivre : cependant aucune science n’est plus difficile que celle de la vie. Des maîtres en toutes autres sciences se trouvent partout et en grand nombre : on a vu même des enfants en posséder si bien quelques-unes qu’ils auraient pu les professer. Mais l’art de vivre, il faut toute la vie pour l’apprendre ; et ce qui vous surprendra peut-être davantage, toute la vie il faut apprendre à mourir.

(4) Bien des grands hommes se sont affranchis de tout soin, ont renoncé aux richesses, aux emplois, aux plaisirs, pour ne s’occuper, jusqu’au terme de leur carrière, que de savoir vivre. Cependant presque tous ont avoué, en quittant la vie, qu’ils n’avaient pu acquérir cette science : comment à plus forte raison les hommes dont nous parlons l’auraient-ils apprise ?