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ne sommes pas encore vengés. L’univers est mis à contribution par leur appétit blasé. Des extrémités de l’Océan on apporte des mets qui séjourneront à peine dans leur estomac affadi. Ils vomissent pour manger, ils mangent pour vomir ; et ces aliments, qu’ils ont cherchés par toute la terre, ils dédaignent de les digérer.

Quel mal fait la pauvreté à qui méprise ces excès ? elle est même utile à qui les désire ; elle le guérit malgré lui ; et, dût-il rejeter les remèdes qu’il est forcé de prendre, l’impuissance, du moins, pendant ce temps, équivaut à la bonne volonté. C. César, que la nature semble n’avoir fait naître que pour montrer jusqu’où peuvent aller les vices les plus monstrueux avec une immense fortune, dévora dans un souper dix millions de sesterces ; et quoique soutenu par une cour fertile en expédients, à peine trouva-t-il le moyen de dépenser en un repas le revenu de trois provinces. Malheureux ceux dont le goût ne peut être réveillé que par des mets dispendieux ! Le prix de tels aliments ne provient ni de quelque saveur exquise, ni de la délicatesse du palais, mais de leur rareté et de la difficulté de se les procurer. Si l’homme voulait revenir à la raison, quel besoin aurait-il de tant d’artifices pour flatter sa gourmandise ? Pourquoi ces marchés ? pourquoi ces chasses et ces pêches, qui dévastent les forêts et dépeuplent l’océan ? Ne trouve-t-on pas partout des aliments ? la nature les a répandus en tous lieux. Mais on passe à côté sans les voir ; on parcourt les contrées, on traverse les mers ; et, quand on pourrait apaiser sa faim à peu de frais, on aime mieux l’irriter a force de dépenses.