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porte ses pas. Qu’à ses yeux nul homme n’ait assez peu de valeur pour que sa perte lui soit indifférente : cet homme, quel qu’il soit, fait partie de son empire. Comparons à l’autorité souveraine celle qui s’exerce dans les degrés inférieurs : le prince commande à ses sujets, le père à ses enfants, le maître à ses élèves, le tribun tra le centurion à ses soldats. Ne regarderait-on pas comme le plus mauvais des pères celui qui, pour les causes les plus légères, sans cesse accablerait de coups ses enfants ? Quel est le maître le plus digne de présider à des études libérales, celui qui maltraite avec cruauté ses" disciples, soit lorsque leur mémoire est en défaut, soit lorsqu’ils n’ont pas le coup d’œil assez rapide pour lire sans hésitation, ou celui qui aime mieux les corriger par de simples réprimandes, et les conduire par des sentiments d’honneur ? Qu’un tribun ou un centurion soit cruel, il fera des déserteurs dont le crime sera digne H’excuse : est-il juste de commander aux hommes avec plus de dureté qu’aux brutes ? et même un écuyer habile se garde d’effaroucher, par des coups redoublés, le cheval qu’il veut dompter ; il le rendrait ombrageux et rétif, s’il ne l’apaisait en lui faisant sentir une main caressante. Il en est de même du chasseur qui dresse de jeunes chiens, ou qui, après les avoir dressés, s’en sert pour lancer ou pour suivre le gibier. Il ne les menace pas trop souvent, car il les découragerait, et il ferait dégénérer, par la crainte, leur instinct naturel ; mais il ne leur laisse pas non plus la liberté de s’écarter et de courir au hasard. Ajoutez à ces exemples celui des bêtes de somme, même les plus paresseuses : quoiqu’elles semblent nées pour les misères et les affronts, l’excès de la barbarie les oblige à secouer le joug.